Au sortir de l’été, une profonde inquiétude intérieure se fait jour. Elle tient à une nouvelle génération, dite des Milléniaux, mais aussi à une fracture géographique profonde du territoire. Le malaise ambiant dépasse la question du passe sanitaire et attend finalement une nouvelle stratégie intérieure, homogène et cohérente, donnant du sens à notre communauté nationale. Loin du déclinisme de certains ou des mots d’ordre simplistes, les atouts de la France doivent être mobilisés pour reconstruire la cohésion.
Chers lecteurs, nous espérons que l’été fut reposant et vous aura permis de reprendre votre souffle et d’engranger une sérénité nécessaire. Car à l’heure de cette rentrée, nous allons vous parler de sujets moins avenants : de cette inquiétude qui monte et dont on voit partout les signes, évidents désormais et pourtant bien négligés.
Génération Y
Interrogez tout d’abord les trentenaires de votre entourage. Cette génération qualifiée un temps de Y, puis de millenials, regroupe l’ensemble des personnes nées entre le début des années 1980 et la fin des années 1990. Autrement dit, celle qui suit la génération des baby boomers (nés entre 1945 et 1975) qui entre largement dans l’âge de la retraite.
Un tour sur Wikipédia (ici) nous apprend que cette « génération » (concept qu’il faut bien sûr relativiser, même s’il fut utilisé depuis la fin du XIXe siècle) n’a pas subi la menace d’apocalypse de la Guerre froide, qu’elle a toujours connu le Sida et « la crise économique », qu’elle a depuis sa naissance vécu avec l‘informatique grand public à laquelle elle s’est très vite accoutumée (on parle de digital natives), qu’elle a grandi avec la sensibilité croissante du public pour l’écologie, qu’enfin elle pratique les loisirs vidéos de façon courante (jeux vidéos mais aussi culture dispensée via YouTube et autres plateformes spécialisées).
Or, cette génération porte un regard sur la vie différent de celle qui l’a précédée. Rien de plus normal, nous direz-vous. Mais alors que les Baby-boomers étaient portés par la certitude de la croissance et du progrès, permettant donc une libération des mœurs et le primat de l’individualisme afin de mieux profiter de cette qualité de vie, la génération Y est beaucoup plus pessimiste.
Elle a compris qu’elle n’aurait pas d’emploi fixe et que son parcours professionnel se ferait en sautant d’un poste à l’autre, quand il y en aurait. Son rapport au travail est différent : l’accès à l’emploi est difficile (notez le nombre de diplômés qui doivent commencer leur carrière par une succession de stages pas forcément valorisants), ce qui entraine une relation difficile au travail. Celui-ci doit donc être moins hiérarchique et avoir plus de sens.
Par ailleurs, la génération Y a compris qu’elle entrait dans un monde fini. Elle est ainsi beaucoup plus sensible aux questions écologiques. Elle considère la pollution et la surconsommation comme un héritage négatif de la génération précédente, le plus souvent vue comme très égoïste.
Métropoles et périphéries
À cet effet générationnel s’ajoute un effet spatial, celui de la disjonction entre des métropoles et des périphéries. Observons en premier lieu la montée des impatiences dans les DROM-COM, manifestée par la réticence au vaccin ou par des tentations d’indépendance, que l’on voit aussi en Corse où les différentes sortes d’autonomistes dirigent l’île de beauté. Ces tendances sourdes sont présentes et actives mais rarement perçues dans « l’hexagone ».
Mais les métropoles désignent surtout les centres urbains majeurs, très connectés et mondialisés, enclaves dynamiques de la mondialisation, qui se distinguent du reste du pays, plus stable et souvent moins développé. De nombreux livres sont parus ces dernières années pour évoquer cette France périphérique, décrire l’écharpe de sous-développement qui traverse la France du nord-est au sud-ouest ou raconter les deux mondes des somewhere et des anywhere.
Une des raisons profondes de cette distanciation sociale et géographique tient à la crise de l’immobilier. On ne peut pas comprendre les dynamiques françaises d’aujourd’hui sans saisir ce facteur premier. Le coût de l’immobilier dans les grandes métropoles atteint des sommets sans rapport avec le pouvoir d’achat du commun des mortels. Il est la conséquence d’un double effet : celui de la mondialisation puisque de nombreux riches investisseurs veulent un pied-à-terre dans les grandes métropoles, moyen de préserver la valeur de leur investissement ; celui d’une financiarisation de l’économie qui apporte des masses extrêmes de capitaux cherchant du rendement et de la diversification.
On assite ainsi à un éloignement géographique conjugué à un abaissement social des classes moyennes. Ceci explique en bonne partie la crise des Gilets Jaunes, déclenchée, ne l’oublions pas, pour des raisons liées à cette distanciation géographique : limitation de la vitesse à 80 km/h et augmentation du prix du carburant.
Dans le même temps, l’utilité marginale de ces grandes métropoles tend à disparaître. Encombrées, polluées et sales, elles ne paraissent plus un lieu de vie indispensable qu’on ne saurait quitter. La pandémie et le binôme TGV-télétravail ont radicalement changé la donne : de plus en plus de cadres ont déjà quitté Paris centre.
Malaise
Mais la crise a servi de révélateur à bien d’autres phénomènes : principalement une défiance envers l’État, jugé à la fois omniprésent et inefficace. Ainsi s’expliquent les mouvements actuels à l’encontre du « passe sanitaire ». Il est stupéfiant d’observer des mouvements de protestation s’organiser au cœur de l’été et réussir à réunir 200.000 personnes dans des manifestations hebdomadaires : cela est sans précédent et dénote un malaise évident, qui dépasse la question du passe sanitaire.
Il est trop facile d’incriminer les réseaux sociaux ou le complotisme ambiant afin de déconsidérer ces mouvements. La ficelle est connue et cette bien-pensance rassurante ne répond pas au problème posé : comment répondre à l’inquiétude manifeste d’une large partie de la population, qui se coagule certes sur des sujets annexes mais qui traduit un malaise bien plus profond, auquel le système actuel ne répond pas ?
Elle traduit un besoin de réunification nationale profond que quelques succès sportifs ne sauraient combler. Cette réunification doit agir dans plusieurs dimensions : générationnelle, sociale, géographique … Surtout, comme nous sommes en France et que nous avons un rapport particulier à l’État, une certaine unité d’action est attendue par beaucoup.
On ne peut ici qu’être frappé par la disproportion des attitudes : l’État paraît souvent sévère avec les petits pour les petites choses mais tolérant avec les bandits ou avec les grands pour des choses graves. L’afflux réglementaire ne se dément pas et fatigue la population : il faut être bac +3 en administration pour saisir tout ce qu’on demande à un ménage pour être en règle.
Signalons enfin les secteurs qui nécessitent des réformes évidentes : la justice et ses juges qui confondent indépendance et libre-arbitre partial ; l’école plus vraiment unitaire qui n’instruit plus ; la sécurité et la cohésion territoriale ; l’urbanisme et l’aménagement du territoire…
Quelle stratégie intérieure ?
La Vigie vous parle régulièrement de stratégie, le plus souvent pour les affaires internationales. Nous n‘oublions pas cependant qu’il ne peut y avoir de stratégie globale qu’appuyée sur une dimension intérieure cohérente. Nous avons aussi régulièrement évoqué l’ambiguïté du concept de sécurité intérieure par rapport à celui de défense nationale, mais là n’est au fond pas le sujet aujourd’hui : il n’y a pas de stratégie possible si la communauté sous-jacente ne démontre pas sa solidité et sa volonté d’agir ensemble.
Ici réside une vraie priorité : celle de reconstruire une communauté nationale viable, aujourd’hui abîmée par de multiples accrocs et négligences.
La tâche n’est pas nouvelle et la France a toujours eu le besoin de réconcilier des diversités nombreuses et des déchirures profondes. Que l’on pense aux nombreux temps de désordre civil qui ont marqué notre histoire : grandes invasions médiévales, brigandages et jacqueries, guerres de religion, Fronde, guerres révolutionnaires, Commune, affrontements lors de la Libération de 1945. Si l’on met de côté les « émotions populaires » de l’ancien temps et que l’on regarde les temps modernes, constatons que ces tensions affrontaient deux camps idéologiquement marqués. Mais il ne semble pas qu’il en soit de même aujourd’hui.
Au lieu d’une France divisée en deux camps, nous avons une France archipélisée et psychologiquement émiettée.
Avant un printemps 2022 qui sera polarisé par la campagne électorale présidentielle et législative, il nous semble important de rappeler ces quelques éléments : ils sont plus nuancés que les slogans caricaturaux lancés par de nombreux responsables politiques en direction de leur « réservoir politique ».
Plutôt que les éternels débats sur la dépense publique ou la sécurité, il est temps de prendre de la hauteur et de construire un projet positif. La génération des baby boomers a eu l’intuition du progrès ; celle des milléniaux réclame du sens et des perspectives. Elles se rejoignent aujourd’hui.
Gardons-nous du déclinisme en vogue
Notre système a besoin d’être réparé et adapté car il conserve de beaux atouts. La France demeure une vraie puissance même si elle n’est plus la super-puissance qu’on dit. Il lui reste à inventer le modèle pertinent qui lui convient pour un XXIe siècle, désormais bien entamé. Il faut avoir confiance dans l’avenir et dans notre capacité à réparer les institutions dévoyées, les paysages abimés, les relations sociales détériorées. Face au pessimisme anxieux de nombreux concitoyens, il est temps de relancer le roman national et de construire un optimisme raisonnable fondé sur une cohésion nationale reconstruite et viabilisée
JOCV
Pour lire l’autre article du LV 174, Afghanistan, raison garder, cliquez ici
Au deladuneanalyse de la situation actuelle dont certains aspects comme la / les fracturesociales rendant les citoyens favorables à l individualisme vous ne proposez pas d actions concrètes pour réaliser cette nouvelle union nationale/ ce projet pour l avenir que vous appelez de vos vœux. Mais cela sera peut-être l objet d un nouvel article…merci pour vos articles qui provoquent la refexion